Jamais sans mon tire-lait !

Quand Victoria est née, je ne me faisais pas de souci par rapport à l’allaitement. J’avais déjà allaité les deux grandes, Marion et Elisa, pendant 6 ans, les remarques du style « tu risques de ne pas pouvoir l’allaiter », je ne les ai pas écoutées. Seulement, Victoria est née à 26 semaines d’aménorrhée avec un poids de 690g et une grande fragilité pulmonaire, ce qui impose beaucoup de soins pour un tout petit être en réanimation.

Qu’à cela ne tienne, je commence dès son premier jour de vie à tirer mon lait. J’extrais péniblement quelques gouttes de ce liquide jaune or aussi précieux que le métal. 4 heures plus tard, vite vite, je recommence et au bout de 10 minutes de tire-lait, seuls quelques millilitres stagnent au fond des biberons. Je me raisonne, je dois tirer plus souvent. Mais je ne tire que 4 heures plus tard encore, impossible de faire autrement. La séparation fait que Victoria dort à l’autre bout de la maternité régionale, les multiples soins d’hygiène des mains, du tire-lait, le questionnaire avant chaque tirage et l’attente des agents hospitaliers pour récupérer mon lait pour le lactarium m’imposent un rythme pour les tirages.

Je décide de me battre, rien ni personne ne m’empêchera de donner mon lait à ma fille. Ni la séparation avec Victoria, ni le stress de la savoir en réanimation avec de grosses difficultés de santé,  ni les protocoles de soin, d’hygiène, ni le manque de proximité ne m’interdiront de me donner et de donner tout ce que je peux lui apporter, à savoir mon lait, sa nourriture, les anticorps et tous les agents essentiels du lait maternel.

Pendant 3 longues semaines, j’ai porté des gants pour caresser et toucher ma fille, alors le défi était lancé, tirer régulièrement et aussi souvent que possible ces quelques gouttes de ce breuvage qui deviendront après la longue attente des premiers jours des centilitres et des décilitres pour un seul tirage.

Au bout de 2 semaines de tirages, je tirais 360 ml le matin. J’ai pris toutes les astuces que j’ai trouvées : bien dormir, bien manger et ne pas oublier de se faire plaisir (varier les chocolats, mmmmh), boire régulièrement des tisanes de fenouil, fenugrec et carvi (on s’échangeait les herbes avec les autres mamans, hi hi hi!), se prendre du bon temps dans la salle de tirage avec les copines-mamans de prémas,  fou-rires, sourires et petite musique d’ambiance nécessaires et indispensables !

Et puis quand le moral descend, et que la production de lait chute à vue d’œil, et que je ne peux toujours pas prendre ma princesse dans mes bras, je n’ai pas hésité, j’ai appelé les amies consultantes en lactation. Je me suis remise à tirer mon lait la nuit (très important!), dormir dès que possible, utiliser le tire-lait double-pompage, me frotter le dos à la manière de « Baloo » dans le Livre de la Jungle dès le début du tirage pour stimuler le système neuro-sensoriel (si si, ça marche).

Au bout de 3 semaines, enfin, j’ai pu enlever les gants et effleurer pour mieux sentir sa peau toute douce. Victoria a 4 semaines, enfin je savoure ¼ d’heure de peau-à-peau, du bonheur et rien que du bonheur.

A 33 semaines, Victoria fait le « pivert », elle a envie de téter visiblement, mais c’est encore trop juste, elle a de trop grands besoins en oxygène. Le tire-lait, c’est pratique, mais si je pouvais donner en vrai, ça me ferait très plaisir ! Chaque jour est un jour d’attente et de patience. La prématurité impose son lot de préparation, d’expectative et d’espérance.

A 34 semaines 1/2, ça y est : tétée ! La grande nouvelle cette semaine, c’est que Victoria a tété, vraiment tété, en direct, elle a bu quelques millilitres. Elle porte toujours les lunettes d’assistance respiratoire, mais la succion-déglutition se met en place, c’est très positif pour les enfants alimentés par sonde. Une merveilleuse aventure qui commence entre nous, « sa première expérience d’échange amical avec le monde» (“Enfance et Société”, 1982), mais aussi la fin des soins exclusivement hostiles et le début d’une acceptation de la tendresse et de la douceur par l’allaitement au sein. Victoria a choisi de se nourrir des bienfaits du lait maternel, nous avons lâché prise dans ce moment de grâce et d’apaisement des corps.

Cependant, une ombre vient pointer dans ces instants de réconciliation avec le monde, Victoria bradycarde, lorsque le lait arrive, son rythme cardiaque ralentit, elle devient toute molle et j’ai à chaque fois l’impression de la perdre. Je dois la stimuler et très rapidement je prends le réflexe de réveiller son pied ou une petite menotte. Je me fais violence pour me ressaisir et me calmer pour profiter de nos tétées.

Les tirages sont plus longs maintenant, le service manque de capsules, pièces indispensables pour les tire-lait double-pompage, je mets 20 minutes à recueillir la précieuse nourriture de ma fille, comme si j’utilisais un tire-lait simple pompage. Je profite d’une conversation avec un infirmier sympathique lorsque le pédiatre est juste derrière la couveuse. Bien décidée à ne pas me laisser prendre de précieuses minutes de mon temps que je partage dans deux maisons à 100 kilomètres de distance, je fais part de ma déception. Quelques temps plus tard, je pourrai à nouveau disposer de deux capsules.

Aux 2 mois ½ de ma fille, j’ai encore 12 litres de mon lait en réserve, en biberonnerie, on manque de place pour stocker mon lait. Tant pis, ce n’est pas mon problème. Victoria reçoit 36 mL 8 fois par jour, il y a du gâchis parce que ce sont des seringues de 40 mL. Alors je pompe, je pompe, comme les shadoks…

A 2 kg tout rond, Victoria quitte la réanimation et entre dans le service médecine néonatale. Quelle joie ! Je peux enfin nous projeter vers une sortie de l’hôpital. Je me réjouis de croiser des bébés portés, bercés par leur parent ou un professionnel de santé.

Depuis quelques jours, Victoria ne veut plus téter. Elle ferme la bouche. Je l’encourage et l’incite comme je peux mais en vain. Pour moi, c’est terrible. Ce n’est tout simplement pas possible, je vais solliciter la consultante en lactation, parce que je ne comprends pas. J’ai l’impression de sentir sa gencive inférieure quand je donne le petit doigt, elle a très peu de force d’aspiration. Avec les lunettes et l’oxygène, c’est compliqué.

Je pense que la tétine ne m’aide pas. Certaines soignantes sont sensibilisées au problème, mais pas toutes. Dès que Victoria a un soin un peu douloureux depuis quelques semaines, certaines soignantes lui mettent la tétine qu’elle tète. Mais le réflexe de succion peut être modifié, j’étudie la question. De plus, elle se fatigue très vite. J’arrive à négocier avec le personnel soignant la tétée plutôt que la tétine et également un bain un jour sur deux. Je préfère économiser ses calories pour les moments de tétée.

Victoria a 3 mois. 3 mois déjà que nous sommes à la maternité régionale de Nancy dans cette lutte pour la Vie. Victoria sature des systèmes de sonde qui la nourrissent, trop de soins, elle est à la limite de l’hospitalisme*. Elle fuit le regard des soignants. Après discussion avec mon mari, je retourne voir les pédiatres, nous cherchons une autre méthode pour que Victoria puisse se nourrir suffisamment par n’importe quel moyen pourvu qu’elle n’ait plus cette sonde. La balance nous joue des tours : la pesée avant et après la tétée ne donne pas des résultats fiables. Alors je fais agir mon instinct de mère, je la mets au sein dès que je sens le besoin. Pas de pesée, je n’avertis personne, je m’écoute, c’est un grand pas parce que j’ai longtemps été parasitée par les protocoles.

Heureusement, certaines équipes sont pleines d’humanité et leur bienveillance m’entoure de réconfort. Une consultante en lactation vient nous voir sur place, elle me confirme que Victoria sait téter, elle est juste limitée dans ses capacités respiratoires. En grandissant, elle va boire de mieux en mieux. Ouf !

A 4 mois et une semaine, elle s’est complètement sevrée de l’oxygène artificiel.

Victoria est enfin arrivée à la maison, chez nous. Nous avons envoyé les faire-part de naissance à tous nos proches.

Pour Viky, c’est tétées et portage à volonté désormais.

*NDLR : état dépressif qui se manifeste chez certains enfants séparés précocement de leur mère

[Auteure] : Myriam Dutilleul

[Biographie] : Mère d’Élisa, Marion et de Victoria, Myriam Dutilleul a consacré 3 années à soutenir bénévolement des mères qui allaitent par le biais de l’association La Leche League. Elle est éducatrice en environnement

 

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