Françoise Coudray :
« Dans ma pratique, je suis souvent surprise de constater des lacunes en matière de formation et de rigueur de la part d’un certain nombre de personnes (professionnels ou bénévoles) bien intentionnés. Ils interviennent directement ou pas dans le conseil en allaitement auprès des mamans que je vois en consultation.
Il est dangereux de vouloir ralentir une production de lait d’une mère allaitante sans s’être auparavant assuré qu’elle produit effectivement trop de lait pour son ou ses enfants. Une hyperlactation n’est pas uniquement liée à un réflexe d’éjection fort ; et un réflexe d’éjection fort ne signifie pas qu’il y a forcément une trop forte lactation surtout dans la période des six semaines après l’accouchement. Enfin, des seins qui restent trop pleins, ou bien un enfant qui s’étrangle, et tousse au sein ne signifient pas forcément un bébé face à des seins qui produisent trop de lait et trop vite.
Dernièrement, je suivais une jeune maman de jumeaux à qui il a été conseillé à plusieurs reprises, par des professionnels ou assimilés, et par des bénévoles d’associations des techniques de « block feeding » consistant à ne présenter qu’un seul sein sur une plage horaire de trois heures afin de limiter physiologiquement la production lactée. Il a été également prescrit à cette maman un traitement homéopathique visant à réduire la quantité de lait produite. Or cette maman ne souffrait absolument pas d’hyperproduction. Par contre, son réflexe d’éjection était réellement puissant.
Des stratégies simples permettant de réduire l’inconfort des jumeaux et de la maman étaient d’ores et déjà appliquées : exprimer le premier jet de la tétée pour éviter aux bébés d’être gênés par un réflexe d’éjection fort. La position de la maman avait été aussi revue de manière à permettre aux enfants de mieux laisser s’écouler le lait en début de tétée qui, à priori, les gênait. »
Et nous attendions d’avoir atteint les six semaines post-partum permettant d’utiliser de l’homéopathie pour réduire la puissance de son réflexe d’éjection s’il restait puissant à ce stade – et il l’était.
Décider de ralentir physiologiquement la production de lait de la maman par ces stratégies relève dans ce cas de figure d’une méconnaissance de la physiologie, et cela peut avoir des répercussions néfastes sur le bon déroulement de l’allaitement par la suite. Et de manière générale toute stratégie inadaptée peut avoir des conséquences néfastes.
Heureusement, cette maman me recontactait pour être sûre qu’il fallait, ou non, suivre ces conseils ; néanmoins, au-delà de reconfirmer un diagnostic, voire de « râler » en mon for intérieur, je me mettais à la place de ma patiente et me disais : mais comment est-ce que je le vivrais, si je faisais face à des avis discordants ? A des conseils contradictoires ou incompatibles, même ?
C’est un problème que beaucoup de mères rencontrent, dès la maternité. (Dans mon activité de formatrice, il y a une demande unanime des membres d’équipe à former : « avoir le même discours ! » et cette demande est significative : certains soignants se rendent bien compte qu’il y a parfois des désaccords dans leurs connaissances). Et le retour à la maison ne signifie nullement que la mère ne fera pas éventuellement face à des divergences de « diagnostic » et de « traitement ».
Comment faire alors, lorsque l’on est une jeune maman se trouvant face à des difficultés pour trouver la bonne voie et faire le tri parmi les conseils que nous recevons de part et d’autre ? Et je ne parle pas des remarques maladroites de l’entourage qui ajoutent bien souvent une pression et sèment le doute dans l’esprit de la maman.
Comment faire pour s’y retrouver dans cette jungle de normes sanitaires, de standards appliqués au quotidien dans notre système de santé et dans nos sociétés ?
Nous avons oublié l’intelligence et la puissance du corps humain et nous devons réapprendre à nous faire confiance. Vous, mamans de jeunes enfants, devez réapprendre à vous écouter et prendre le temps d’essayer de comprendre. L’allaitement a des avantages tellement nombreux que je ne me risquerai pas ici à essayer de les énumérer. La simplicité peut en effet être l’un d’entre eux et paradoxalement une certaine complexité peut aussi se révéler. Non il n’est pas si simple de trouver les solutions qui conviendront dans chaque famille et chaque entité mère-enfant devra se faire son chemin avec plus ou moins de difficultés et d’épreuves.
Une des règles de base en matière d’allaitement est qu’il faille chercher des solutions aux problèmes et inconforts rencontrés ; ne pas subir et accepter la douleur sous-prétexte de vouloir le mieux pour son enfant. Par contre, même si les démarrages sont parfois qualifiés de chaotiques, il faut laisser du temps au temps ! Laisser du temps au corps pour faire son travail aussi et se faire confiance en trouvant la juste mesure pour être proactif d’une part et respectueux de nos rythmes biologiques d’autre part.
Parmi toutes les informations que vous allez entendre, faites confiance en celles qui raisonnent le mieux en vous et donnez-vous un peu de temps aussi.
Il est un conseil que je transmets volontiers aux mères : « Écoutez vos tripes, suivez votre instinct, la vérité est en vous » ; ce qu’on qualifie chez les femmes enceintes et nouvellement accouchées de « déficit cognitif », vous savez, ce côté « tête en l’air » « agenda, agenda, euh….. » « j’ai oublié, je me suis laissée submerger »…. C’est purement neurocomportemental ; en fait la Nature fait biologiquement s’effacer le cerveau gauche, au profit du cerveau droit ; si nous laissons notre cerveau droit mener la danse, nous serons plus ouvertes à la communication avec … le cerveau droit de notre enfant, nous serons plus intuitives, plus attentives, plus dans l’émotionnel ; et alors la réponse surgira souvent ; même l’installation pour une tétée s’améliore soudainement quand on écoute notre instinct et nos tripes – et non notre cerveau gauche.
Parfois donc, il faut distancer les choses, effacer ce qu’on a lu, entendu, lâcher les schémas, les photos, les instructions, et nous laisser aller avec notre instinct et nos tripes. D’ailleurs, est-ce que certaines mères n’ont jamais eu l’impression qu’en essayant d’apporter du contrôle et de la réflexion (cerveau gauche), les choses n’allaient pas si bien que cela ?
Nous ne pouvons pas retrouver une ligne parfaite, passer des nuits paisibles, retourner à nos activités d’antan six petites semaines seulement après l’accouchement. Alors oui cherchons des solutions et restons vigilants et humbles face à la mise en route de toute une synergie d’événements qui s’opère lors de l’arrivée d’un enfant.
C’est à nous, professionnels de la santé, consultants en lactation, bénévoles d’associations de promotion de l’allaitement, pédiatres, sages-femmes, docteurs généralistes, naturopathes, parents, grands-parents et / ou beaux parents, beaux frères et belles sœurs, amis et connaissances, voisins, puéricultrices… de nous reprendre et de penser que nous ne sommes pas celui qui sait. Continuons de nous intéresser et de nous impliquer si nous le désirons pour le bien-être d’autrui mais restons vigilants et prenons garde à ce que nous conseillons. Parfois, le simple fait de prendre le temps, prendre le temps d’observer une tétée, de prendre le temps de discuter, ou d’écouter de façon bienveillante sera un début de solution.
[Auteure] : Françoise Coudray, consultante en lactation IBCLC, formatrice et conférencière, Françoise Coudray est également la présidente fondatrice de l’A.D.J.+
Il faut écouter son coeur et laisser faire la nature ! C’est à dire allaiter et non donner le biberon. Sauf bien évidemment si la personne éprouve des difficultés.