Pascale Baugé nous explique les études sur le cancer du sein et l’allaitement.
Parmi les effets bénéfiques de l’allaitement maternel pour la mère, le plus documenté est celui lié à la protection contre le cancer du sein. Bien sûr, la protection n’est pas totale mais dans la mesure où le cancer du sein est très répandu dans le monde, tout bénéfice est néanmoins bon à prendre et à comprendre. Bon nombre de questions se posent néanmoins encore : l’allaitement exclusif protège-t-il autant que l’allaitement exclusif ? Existe-t-il une durée d’allaitement qui optimise la protection ?
Pourquoi
le cancer du sein ?
Les
cellules des glandes mammaires sont sensibles à différents types
d’hormones et ce, grâce à des récepteurs particuliers qu’elles
possèdent qui s’associent aux œstrogènes, progestérone. Cette
association récepteur-hormone permet aux cellules de pouvoir se
multiplier et d’évoluer vers une forme fonctionnelle afin de
fabriquer le lait et l’éjecter jusqu’au mamelon pour permettre
l’allaitement.
Parmi
les mécanismes découverts sur la genèse d’une tumeur cancéreuse,
l’un d’eux est lié à la présence d’un très grand nombre de
« récepteurs » au sein de la cellule ou d’une trop
forte stimulation hormonale par la voie des œstrogènes par exemple,
la prolifération est importante avec un risque d’atteindre un
point de non-retour : la machinerie s’emballe et le
développement de tumeur peut prendre place.
Pourquoi penser que l’allaitement protège ?
Dans la mesure où l’allaitement maternel exclusif a une forte composante hormonale, il est légitime de penser qu’il puisse influencer le développement du cancer du sein. La variation géographique de la prévalence du cancer du sein est d’ailleurs corrélée aux pratiques de l’allaitement : elle est moindre dans les régions où l’allaitement est le plus répandu.
Plusieurs
travaux se sont focalisés sur le rôle protecteur que pourrait
procurer l’allaitement maternel. Mais il n’est pas toujours clair
de voir l’influence de l’allaitement seul. Essayons de faire le
point sur la littérature scientifique.
Que
disent les études ?
Une
méta-analyse (publication qui passe en revue, trie et analyse toutes
les études publiées sur une question en tirant les conclusions qui
s’imposent) est parue en 2017 et fait un bon tour de la question.
Cette étude-synthèse a été réalisée par des chercheurs
Mexicains (Centre de Recherche sur la santé et la nutrition de
l’Institut National de Santé Publique) et publiée dans Journal of
Human Lactation.
Elle indique que le fait d’avoir allaité était bien associé à une diminution du risque de développer une tumeur cancéreuse (à la fois les tumeurs possédant des récepteurs hormonaux mais aussi des cancers dits « triple négatif » dépourvus des récepteurs classiques particulier et pour lesquels les thérapies ont moins d’impact).
Voyons
dans les détails ce qu’il en est. L’ensemble des études passées
en revue pour répondre à la question (en tout 65 sur presque 2000
articles recensés au départ) ont toutes été publiées entre 2005
et 2015.
Il
s’avère que les résultats des différentes études sont assez
hétérogènes quand on les regarde globalement. En analysant plus
finement, les auteurs observent que les études ne distinguent pas
souvent l’allaitement exclusif de l’allaitement mixte. D’autre
part, il est assez difficile d’isoler le seul « facteur
allaitement » et notamment de s’affranchir de l’effet
protecteur de la grossesse. Néanmoins, en faisant un tri plus affiné
sur la qualité des études (celles qui font un ajustement
statistique pour étudier l’influence de l’allaitement
indépendamment des autres facteurs) et en regardant l’effet
dose/réponse, il est possible de tirer quelques conclusions.
En
ne distinguant pas les résultats entre l’allaitement exclusif et
l’allaitement mixte, la diminution du risque est de l’ordre de
12% (pré-ménopause) et 14 % (post-ménopause). Il est important de
souligner ici, que les effets portent autant sur les cancers en pré
et post ménopause : or, les cancers les plus agressifs se présentent
souvent plutôt en période pré-ménopause et l’allaitement reste
protecteur dans ces cas de figure.
Un
résultat vraiment important souligné par cette méta-analyse est
assez nouveau dans la mesure où il concerne l’allaitement
exclusif. Ainsi pour ces mamans, la diminution du risque relatif est
de 28 % par rapport aux femmes qui n’ont jamais allaité. C’est
pratiquement une diminution de 1/3 du risque.
Un
effet dose-réponse a aussi pu être mis en évidence : plus la durée
d’allaitement est grande, plus les risques diminuent, bien que la
réduction ne soit pas linéaire. La diminution est plus accentuée
autour des 6 mois d’allaitement (durée habituelle de
l’allaitement exclusif) et après 12 mois.
Les
mécanismes de protection connus de l’allaitement
L’un des premiers mécanismes est lié à la différentiation des cellules mammaires qui est associée à l’allaitement. De façon à produire efficacement du lait, les cellules mammaires terminent leur maturation. Ainsi, les lobules sont « optimisés » et s’avèrent moins sensibles aux œstrogènes et aux carcinogènes.
Le temps d’allaitement est également une période permettant une moindre exposition aux œstrogènes notamment dans le cas de l’allaitement exclusif où la période d’aménorrhée est plus longue.
Un autre mécanisme évoqué concerne le fait que la production de lait permet une exfoliation du tissu mammaire ce qui aide à éliminer les cellules ayant un ADN endommagé.
Le lait maternel contient aussi un certain nombre de composants qui peuvent jouer un rôle certain dans les mécanismes de protection. Certains d’entre eux peuvent se lier à des protéines carcinogènes et ainsi modifier leur fonction moléculaire, réduisant les risques de cancer.
Un autre élément serait aussi plus spécifiquement lié à l’allaitement maternel exclusif. Ce dernier se caractérise par des besoins énergétiques plus élevés pour la mère. Ceci impose une mobilisation accrue des « réserves de gras » et une plus grande utilisation du glucose. Il en résulte une diminution de la concentration d’insuline dans le sérum de la mère. Or il a été montré que de fortes concentrations d’insuline dans le sérum induisait une forte concentration de l’hormone de croissance IGF, qui joue un rôle dans la prolifération et s’oppose à l’apoptose (mort programmée de cellules).
Que
retenir ?
Par le biais de différents mécanismes complémentaires, l’allaitement protège les mamans du cancer du sein. Cette méta-analyse est de grande qualité car un gros travail de fond a été mené afin de faire la lumière sur des résultats jusque là hétérogènes. En effet, beaucoup de facteurs confondants perturbent l’analyse (âge à la première grossesse, nombre de grossesses, antécédents familiaux…). En ne regardant que les études de qualité qui éliminent le bruit de fond, l’allaitement est bien un facteur protecteur, en particulier l’allaitement exclusif (donc celui des six premiers mois).
Référence :
Mishel Unar-Munguía et al., « Breastfeeding mode and Risk of Breast Cancer : A dose-response meta-analysis. », Journal of Human Lactation, Vol. 33(2) 422–434, 2017