Caries précoces chez un jeune enfant allaité

La docteure Muriel Mermilliod, consultante en lactation IBCLC, formatrice en allaitement maternel, accompagnante Biological Nurturing© et chirurgien-dentiste est l’une des spécialistes françaises de la lactation humaine et de l’allaitement maternel. Elle a créé Lait’xcellence formation pour accompagner les professionnels dans leur projet de soutenir les mères allaitantes. Elle accompagne également quotidiennement les mères en consultation d’allaitement en Guadeloupe notamment. Elle nous parle aujourd’hui des caries du jeune enfant.

Une incisive qui se casse non loin de la gencive, presque comme si on l’avait sciée, une autre qui s’abîme avec une zone paraissant toute molle, jaune ou plus foncée et tirant vers le marron, des surfaces et tâches blanchâtres comme de la craie aux contours friables : vous voilà complètement déroutée et inquiète devant l’apparence des dents de votre enfant.

Votre bébé allaité présente des caries, devez-vous le sevrer ?

Vous réalisez que votre enfant allaité présente des caries et votre premier réflexe, à juste titre, est de consulter un pédodontiste ou un chirurgien-dentiste pour lui confier la prise en charge.

Dans un second temps, et en plus des soins réalisés, vous vous orientez peut-être vers une consultante en lactation parce que l’un ou l’autre de vos référents de santé aura désigné l’allaitement comme cause possible, ou vous aura demandé de sevrer, ce qui mérite bien un accompagnement car ni vous, ni votre enfant n’y étiez préparés.

Si, pour les consultant(e)s en lactation, les caries précoces de l’enfant constituent un motif relativement rare de consultation, il n’en demeure pas moins un. Et ces professionnel(le)s sont compétents pour vous apporter un soutien et des informations adéquats. Dans le cas de figure où une consultation individuelle n’est pas envisageable pour vous, voici quelques repères qui pourraient vous aider et qui vous sont transmis pour tenter d’éclairer la situation. Je mobilise à ce titre ma double compétence de docteur en chirurgie-dentaire, dont j’ai cessé l’exercice, et de consultante en lactation IBCLC, exercice auquel je me consacre à temps plein depuis 9 ans. Je me permettrai ensuite d’ajouter mon regard de mère à cette double compétence.

Le syndrome du biberon retrouvé chez l’enfant allaité ?

Force est d’avouer que pour le chirurgien-dentiste, il est bien tentant d’associer chez le tout petit allaité le communément nommé « syndrome du biberon » avec l’apparition d’une atteinte précoce des dents de lait. A la surprise du professionnel, le tout petit est peut-être d’ailleurs « encore allaité » à 13, 15, 18, ou même 24 mois. Il se trouve même médaillé de surcroît d’enfant « qui tète encore la nuit ! ». Et pourtant… ce raccourci est bien vite pris !

Les composants du lait maternel ont un effet protecteur

Certes, le lait maternel est sucré. Pour autant, le pH salivaire après une tétée n’est pas aussi acide qu’après un repas solide ou un biberon de préparation pour nourrissoni. Et la lactoferrine, pour ne citer que ce composant bien étudié, s’oppose au développement des bactéries impliquées dans la carie dentaire. La liste est longue pour mener une réflexion approfondie qui ne va pas dans le sens d’un pouvoir hautement cariogène du lait maternel.

La lecture des études scientifiques ne permet actuellement pas d’établir la preuve d’un lien de cause à effet entre l’allaitement au-delà d’un an, y compris la nuit, et l’apparition de caries précoces. En ce sens la CoFAM a publié des recommandations concertées pour la bonne santé bucco-dentaire du tout-petit, rédigées en collaboration avec la faculté d’odontologie de Nancy.

Les tétées nocturnes comme facteur aggravant et non prédisposant

J’ai été confrontée professionnellement à ces bambins qui sont amenés à consulter à la fois très jeunes (2-3-4 ans) et à la fois tardivement en fait car l’échange avec les parents, lorsque la question leur est posée(!), évoquait le plus souvent une dent de couleur inhabituelle dès son éruption, soit à 6 mois, ce qui devrait idéalement constituer un motif de consultation à cet âge. Cette suggestion rejoint d’ailleurs pleinement les recommandations de l’UFSBD qui met l’accent d’emblée sur l’existence d’émails anormalement formés repérables entre 6 et 12 mois (la fenêtre courante de l’éruption des incisives temporaires). Si tel est le cas, on peut aussi suggérer que des tétées nocturnes ne seront pas une cause mais un facteur aggravant sur un terrain destiné à développer une maladie carieuse tôt ou tard. Cela oriente le soutien dont vous avez besoin vers des soins appropriés, des mesures d’hygiène buccale et dentaire adaptées et sur-mesure et une surveillance fréquente car les soins apportés peuvent perdre leur herméticité rapidement lorsque les tissus sont anormalement constitués. Il ne sera pas alors forcément question d’envisager un sevrage soudain.

À ce regard s’ajoute mon expérience de mère.

Mon premier enfant allaité au-delà de deux ans, et la nuit jusqu’à 20 mois, n’a développé aucune carie et ses dents étaient parfaitement constituées. Lors de l’éruption de la première incisive de mon deuxième enfant, au moment où seulement quelques millimètres passent le bord de la gencive et que l’on s’extasie de cette étape du développement, j’ai pu remarquer un émail anormal, poreux qui, c’était évident pour mes yeux professionnels, allait se carier rapidement, tétées nocturnes ou pas. C’est ce qui s’est produit et il a été soigné alors qu’il n’avait que 10 mois ce qui a permis de s’acheminer vers la dentition définitive dans des conditions acceptables, certains soins étant à renouveler tous les ans.

Peu informée à l’époque, j’ai négligé l’événement sans plus d’investigations. C’est lorsque le problème s’est de nouveau présenté pour mon troisième enfant, qui d’ailleurs ne tétait pas la nuit depuis ses 5 mois, que j’ai décidé de prendre en compte sérieusement cette anomalie et je me suis aperçue que j’étais sévèrement carencée en vitamine D. Je ne me supplémentais pas car je vivais alors dans une zone ensoleillée sans me rendre compte que je ne recevais pas assez de ce soleil – nous sommes nombreuses à commettre cette erreur !, alors qu’avant mon premier enfant né dans une zone peu ensoleillée j’avais été très observante sur ma supplémentation. N’avais-je pas à l’époque d’autres carences ayant perturbé toutes les interactions nécessaires à la minéralisation ? Difficile de le dire a posteriori.

Parallèlement, une de mes consœurs a décidé de demander des bilans sanguins aux enfants et aux mères d’enfants touchés par des caries précoces. Tous présentaient une carence en vitamine D et provenaient de groupes de population qui avaient été réticents à donner la vitamine D prescrite. Loin de vouloir en faire une preuve, il serait intéressant d’explorer cette piste et d’autres encore dans les recherches mais également individuellement dès lors qu’un bambin présente ce type d’atteinte carieuse avec une dystrophie évidente de l’émail. Une hypothèse qui serait à creuser également est celle de l’exposition à certains polluants dont on sait qu’ils peuvent entraîner des malformations dentaires et des troubles de la minéralisation dentaire lorsque la mère présente des taux élevés durant la grossesse.

J’ai plus tard suivi au cabinet dentaire des enfants présentant ces caries traçantes (d’apparition précoce et de propagation rapide). Les recevoir précocement permettait de réaliser patiemment les soins, d’adapter les gestes avec les parents, d’adresser vers les médecins nutritionnistes et micro-nutritionnistes et d’éviter le sevrage. Une fois ces dents soignées, les enfants ont pu évoluer sereinement avec un suivi très rapproché. Aussi ténue que soit cette expérience, elle a apporté beaucoup de réconfort à tous sans éluder les soins nécessaires.

Programmer une visite au cabinet dentaire dès 6 mois

La recommandation de l’UFSBD de programmer une visite au cabinet dentaire dès l’âge de 6 mois, ou dans tous les cas à partir de l’éruption des premières dents, se justifie pleinement et permettrait de repérer précocement les dents et zones susceptibles d’être victimes d’une atteinte rapide, évitant ainsi probablement des destructions totales de la dent par fracture au niveau des zones de minéralisation anormales (ce que l’on voit régulièrement lorsque l’enfant est présenté vers l’âge de 2 ou 3 ans). À l’heure actuelle, tous ces axes et pistes évoqués sont les seuls connus et probants pour offrir à votre enfant la meilleure santé possible sans remettre en question l’allaitement.

Pour en savoir plus :

UFSBD : https://www.ufsbd.fr/espace-grand-public/votre-sante-bucco-dentaire/bebes-enfants/

CoFAM: https://www.coordinationallaitement.org/images/publications/CC_Synthese_Recommandations_pour_une_bonne_sante_bucco.pdf

Recommandations en vigueur sur la supplementation en vitamine D : http://www.cngof.fr/pratiques-cliniques/referentiels-d-origines-diverses/apercu?path=ANSES%2BAgence%2BNationale%2Bde%2BScurit%2BSanitaire%252FNUT2013SA0240Ra.pdf&i=10079.

https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2528780/

https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2013-02/utilite_clinique_du_dosage_de_la_vitamine_d_-_note_de_cadrage.pdf

i: Avila, Walesca M et al. “Breast and Bottle Feeding as Risk Factors for Dental Caries: A Systematic Review and Meta-Analysis.” PloS one vol. 10,11 e0142922. 18 Nov. 2015, doi:10.1371/journal.pone.0142922

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