Aujourd’hui Marina Boudey, conseillère en allaitement chez Lact’essence nous parle d’une consultation d’allaitement pas comme les autres :
“Je me questionne aujourd’hui sur la qualité de mon lait, la quantité, le fait que mon bébé tète moins quand je vais mal, qu’elle me mord quand je suis énervée, etc… Est-ce que je fais bien de continuer l’allaitement ? Est-ce vraiment bénéfique pour notre lien ? Est-ce qualitatif tout de même pour elle ? Mon corps arrive t-il à faire la part des choses et à lui offrir le meilleur tout de même ?”
Voilà les questionnements qu’une mère est venue me partager, et c’est avec un grand honneur que je vais tenter d’y répondre. Ce que disent les études, et comment il est possible d’interpréter ces données.
– Qualité du lait
Une étude sur les primates en captivité avait démontré que les glucocorticoïdes passaient dans le lait, augmentant ainsi le taux de cortisol. Avant tout, cela permettait à la croissance des primates une priorité adaptative: devenir plus prudent notamment, et avec une croissance plus rapide (prise de poids plus grande pour s’adapter à un environnement potentiellement hostile).
Une autre étude s’est basée sur une observation et une interprétation des signes du bébé par la mère pour savoir si les taux de glucocorticoïdes hauts à 9 semaines post partum chez des mères atteintes de DPP ( Dépression du Post-Partum ) pouvait potentiellement modifier le comportement neurologique du bébé. Et les conclusions n’étaient pas significatives. Car les effets du cortisol dans le lait sur le comportement de l’enfant ne sont pas clairs.
Rappelons que le matin le taux de cortisol est 3 fois plus concentré, permettant de le rendre plus énergisant pour l’éveil du bébé.
Ici le cortisol est associé à des comportements neurologiques positifs chez le bébé, pour le soutenir dans son développement.
Ce qu’il faut retenir c’est que le lait s’adapte toujours pour servir le bébé dans son développement. Une hormone associée à un facteur stress ne sera pas forcément inutile ou délétère, au contraire, elle permettra au bébé de s’adapter à son environnement avant tout. Donc oui le lait maternel est toujours le plus qualitatif malgré la DPP.
– Quantité de lait
Le stress peut influer sur la montée de lait (à la naissance) , et la retarder car l’insuline peut interférer avec la prolactine permettant d’initier la synthèse de lait.
Le cortisol peut interférer avec les hormones thyroïdiennes, qui elles-mêmes peuvent interférer avec la prolactine et retarder la synthèse de lait, voire la ralentir.
Des taux de sérotonine bas peuvent inhiber l’ocytocine et donc le réflexe d’éjection.
Cependant ! Les taux d’ocytocine hauts vont permettre d’abaisser le taux de cortisol notamment. Et la production lactée, après quelques semaines, n’est plus sous le contrôle principal de la prolactine.
De ce fait, encore une fois, le corps s’ajuste dans un jeu d’équilibre délicat mais priorisant le bébé.
Le bébé est aussi efficace et s’adapte à la délivrance du lait, en multipliant les tétées. Il peut avoir une agitation ponctuelle en début de tétée si le 1er réflexe d’éjection tarde à venir, mais il arrivera TOUJOURS à faire venir le lait.
– Bébé tète moins quand je vais mal, bébé semble affecter quand je vais mal.
Il s’agit de la perception maternelle avant tout. Le bébé ne tète pas forcément moins, mais l’état émotionnel de la mère peut faire que le bébé n’est pas mis au sein aussi souvent que d’habitude. Il n’est pas aisé de repérer les signes d’un allaitement à la demande et selon le profil des bébés, il arrive que le sein soit parfois moins proposé.
Par exemple un bébé plus agité pourra pleurer rapidement pour demander à téter là où un bébé plus discret pourra ne pas montrer de signes de demande rapides et audibles, de ce fait, moins perceptibles par la mère. Il s’agit du même processus pour l’état émotionnel du bébé. Les rythmes physiologiques du bébé ne sont pas transmis correctement aux parents, on imagine qu’un bébé c’est celui qu’on voit sur les photos de carte postale, posé, endormi, serein… Alors qu’un bébé a des rythmes changeants, parfois anarchiques, ponctués de phases de développement rapides et intenses qui demandent un contact, une proximité accrue. Le bébé s’exprime à travers des pleurs notamment. Il est aisé de confondre ces signes communs à tous, à des symptômes de détresse si la mère elle-même est en détresse. Les pleurs amplifient le stress chez la mère, qui, non avertie, peut se sentir démunie. Pourtant ce ne sera pas des signes liés à une mère en DPP.
– Est-ce vraiment bénéfique pour notre lien ?
Lors de l’acte d’allaitement, l’ocytocine, hormone responsable de l’attachement et du lien social, est délivrée, permettant également d’éjecter le lait maternel.
Une étude a étudié l’injection et la suppression de l’ocytocine à des campagnols (des petits rongeurs). L’injection d’ocytocine les a rendu moins volages et plus prévenants avec leurs bébés. Au contraire, en bloquant les récepteurs de l’ocytocine, les campagnols devenaient polygames , moins impliqués avec leurs bébés et moins sociables.
L’ocytocine permet de décrypter les émotions primaires dans les regards et les visages, permet aussi de créer un lien affectif avec la mère.
Plus poétiquement votre bébé vous voit. Vous et pas la DPP, il voit votre amour, et pas l’anxiété. Il voit la personne qui lui procure ce bonheur, d’être contre vous, d’être au sein.
Pour aller plus loin, les bébés prennent aussi soin des mamans. En étant parfois plus en demande du sein, ce qui permet la délivrance d’ocytocine permettant d’apaiser le système nerveux de la mère, de se sentir légère, au moins le temps de la tétée. Mais permettant aussi de libérer de la prolactine, qui induit une récupération physique plus rapide, ce dont la mère en DPP à besoin du fait de la fatigue, des rythme de sommeil perturbé par la DPP.
Alors oui l’allaitement est bénéfique pour votre lien affectif mais aussi pour votre santé, à tous les deux.
– Conclusion :
Oui l’allaitement est qualitatif malgré le DPP
La DPP est une maladie qui implique des difficultés quotidiennes, sachez que de nombreux traitements sont compatibles avec l’allaitement si vous souhaitez envisager cette option avec l’aide de votre médecin.
La DPP implique des états cycliques du symptôme dépressif. Les jours où les symptômes sont plus conséquents, il faudra rester vigilant à proposer peut-être plus souvent le sein au bébé. Mais gardez en tête que, s’il semble plus demander le sein, ce n’est pas parce qu’il est mal, mais parce qu’il souhaite prendre soin de vous autant que vous prenez soin de lui.
Et rappelez-vous que l’humanité s’est construite au sein de la mère. Les homos sapiens n’étaient pas dans un environnement paisible. Les dangers et le stress étaient quotidiens (lieu de vie, de survie, prédateurs etc…). Pour autant l’humanité s’est construite en adaptant les bébés à leurs environnement (demande de proximité, réflexes archaïques, signature olfactive de la mère pour la reconnaissance des bébés, pleurs du bébé pour l’alerte de ses signes de survie…).
Ça remet beaucoup de notions en perspectives n’est-ce pas ?
Sources:
Effects of Stress on Lactation- 2001 C.Lau, Pediatric Clinics of North America
Stress and hormones-2011- Salam Ranabir and K. Reetu, Indian J Endocrinol Metab.
Ocytocine : du philtre d’amour au médicament- 17.12.2021, par Anne-Sophie Bout