Au cours des trois dernières décennies, on a pu observer de nombreux changements dans la sphère familiale : multiplication des familles « recomposées », mono-parentales, adoptives, procréations médicalement assistées. Le couple homosexuel qui n’a pas la capacité de procréer peut néanmoins souhaiter vivre une parentalité qui se rapproche de celle des couples hétérosexuels.
Un certain nombre d’homoparents préfèrent rester discrets et vivent dans le non-dit, voire le secret. La peur du regard des « normaux » les pousse à dissimuler leur situation familiale. « A l’extérieur, évoque Annie, nous ne parlons pas de notre vie privée. Cela ne regarde personne. Au travail par exemple, je parle de “ mon amie ”, mais je ne précise pas que c’est une femme ». D’ailleurs, la manière dont les lesbiennes vont se faire appeler par leur enfant illustre bien le souhait de s’inscrire dans une famille. Soit elles sont appelées toutes les deux « maman » suivi du prénom, « maman Nathalie » par exemple, soit un des membres du couple, celui qui est le parent légal, est appelé maman, et la partenaire est appelée par un autre terme comme « tante » ou « marraine ». Ces appellations traduisent une volonté de consolider des rôles et des statuts.
Les raisons invoquées dans le choix du mode de procréation d’un couple homosexuel féminin et les conséquences sur les places de chacun (place du donneur, de la mère, de la conjointe) sont autant de questions qui vont amener les professionnels qui les accompagnent à les interroger sur le mode de conception de leur enfant pour évaluer le statut hormonal et le degré de fertilité de la mère gestationnelle, car cela peut avoir un impact sur sa capacité à produire suffisamment de lait.
En plus de ces questions de fond se pose donc la question de l’alimentation du nouveau-né. Le choix du projet d’allaitement appartient au couple. C’est une décision qu’il est bon de mûrir à deux. Dans le cas d’un couple homosexuel féminin, il n’est pas nécessaire d’être la mère biologique pour avoir du lait et a fortiori d’allaiter. Les deux mères ont la possibilité d’allaiter l’enfant : on parle dans ce cas de co-allaitement. Alors que la mère gestationnelle produira naturellement du lait, sa partenaire ne bénéficiera pas des hormones de la grossesse pour démarrer la production de lait. Elle peut toutefois choisir de nourrir le bébé avec son propre lait en suivant un protocole de stimulation : on parle dans ce cas de lactation induite. Ce processus est également possible dans le cas d’une adoption.
Précisons que les chances d’induire une lactation sont généralement meilleures quand le protocole a débuté six mois avant la naissance du bébé. La stimulation par des médicaments et / ou tisanes est une option qui peut être discutée avec le médecin. Le mode d’administration du lait dépendra de plusieurs facteurs parmi lesquels la qualité de succion du bébé, son âge, le mode de stimulation de la lactation. Reste que réguler et maintenir deux productions lactées peut s’avérer un sacré défi. Le soutien des partenaires est alors essentiel pour la réussite de l’allaitement ; il l’est d’ailleurs pour tous les couples quels qu’ils soient. Et cela va être un véritable travail d’équipe. Le bébé peut notamment développer une préférence pour l’une ou l’autre dès le départ et/ou au cours de l’allaitement. L’allaitement partagé peut signifier que la production de chacune baisse pour s’adapter à la fréquence choisie. Si la lactation vient à trop diminuer, des tétées plus fréquentes permettront de la relancer.
Toutes ces options posent de nombreuses questions : qui, quand, combien de temps ?
Si la maman gestationnelle ne veut pas allaiter, acceptera-t-elle volontiers que sa partenaire donne le sein ? Comment prendre en compte les sentiments de l’une et de l’autre quand une seule mère allaite et que l’autre se sent exclue ? Il se peut qu’elle développe un sentiment de jalousie. Les pères expriment facilement que l’allaitement leur donne le sentiment d’être à l’écart d’une relation unique. Ce peut être le cas aussi pour une mère lesbienne.
Les termes utilisés dans les publications traduisent souvent le fait que le couple est, par définition, hétérosexuel alors que notre société va dans le sens d’une acceptation du couple homosexuel et d’une reconnaissance de leur droit à la parentalité.
Ainsi, les professionnels de santé doivent veiller à ne pas blesser la sensibilité de chacun et se doivent d’utiliser un langage non sexiste. Il est bon de veiller à faire abstraction des idées reçues et éventuelles conclusions hâtives.
On l’a vu, l’allaitement n’est pas seulement réservé aux couples hétérosexuels. Quelques aménagements et un accompagnement spécialisé peuvent permettre aux couples de lesbiennes qui le souhaitent de réussir leur projet.
Références :
Counseling the nursing mother 6th edition Judith Lauwers & Anna Swisher,
https://www.asklenore.info/breastfeeding/induced_lactation/gn_potocols.shtml
Dubreuil E. Des parents de même sexe. Paris, Odile Jacob, 1998.
Leroy-Forgeot F. Les enfants du Pacs. Réalités de l’homoparentalité. Paris, L’Atelier de l’Archer, 1999
[Auteure] : Françoise Coudray
[Biographie] : Françoise Coudray, consultante en lactation IBCLC, formatrice et conférencière, elle est également la présidente fondatrice de l’A.D.J.+