Pascale Baugé, notre scientifique favorite, nous éclaire à nouveau sur certains composants du lait humain. N’hésitez pas à consulter également son blog “Allaitement, bonheur et raison” .
Le lait maternel a de nombreux atouts et n’est comparable à aucun autre lait des autres mammifères. L’une de ces spécificités est liée à la présence en grande quantité de sucres complexes, ou oligosaccharides qui jouent un rôle majeur dans la mise en place de l’immunité et la maturation du microbiote.
Qu’est-ce qu’un oligosaccharide ?
C’est un sucre « complexe », une chaîne formée de sucres simples associés tels que le galactose, des « bouts » de lactose, et d’autres molécules.
Le contenu en oligosaccharides du lait humain est particulier par rapport à celui de tout autre mammifère : il présente une diversité énorme avec de grandes variations dans le sucre de base, la structure spatiale, le nombre de sucres simples dans la chaîne (entre 3 et 6) et les liens qui peuvent être faits avec d’autres molécules. Cela leur confère toute une gamme de propriétés chimiques. Plus de 160 composés oligosaccharides ont été identifiés à l’heure actuelle.
Cette complexité explique en partie le rôle protecteur du lait maternel contre les infections.
Un contenu en oligosaccharides variable selon plusieurs paramètres
Les études qui se sont penchées sur l’analyse quantitative et qualitative de ces sucres complexes du lait humain sont formelles : le lait n’est pas identique d’une maman à l’autre, il existe même une grande variabilité selon chaque individu. Cela parait assez normal, il y a une base génétique. Des gènes particuliers, spécifiques de chaque individu codent des enzymes permettant l’assemblage de certains sucres simples… Donc à chacun sa petite recette.
Mais cela n’explique pas tout. Savez-vous que pour un même profil génétique, il existe aussi une influence de l’endroit où vit la mère ? Quelques études ont même montré une variation selon la saison. On n’a ainsi pas affaire aux mêmes sucres complexes qu’on allaite en printemps ou en automne (toutes choses étant égales par ailleurs). Incroyable, non ?
Les scientifiques n’expliquent pas encore très bien ces résultats mais évoquent l’influence du climat, de l’ensoleillement, de l’exposition à des allergènes qui influencerait la synthèse des oligosaccharides.
Pour une maman allaitante, il y a également une évolution dans le temps… Au fur et à mesure que le bébé grandit, la concentration de ces sucres complexes tend à diminuer dans leur globalité mais des études ont montré que certains oligosaccharides particuliers étaient produits en plus grande quantité à une période bien précise (2 à 3 semaines postpartum par exemple).
Allaiter un bébé prématuré et né à terme, quelle différence ?
Il est légitime de s’interroger sur la bonne adéquation du lait produit par les mamans de bébés prématurés (notamment leur teneur en oligosaccharides) aux besoins intenses de leur enfant particulièrement vulnérable.
Une étude de 2019, a fait le point sur cette question. Quelques études préalables avaient montré que la composition en sucres complexes était comparable dans le lait d’une mère d’enfant né à terme et celui d’un bébé prématuré. Mais il n’y avait pas consensus pour autant.
En y regardant de plus près, il s’avère qu’il y a bien quelques subtiles différences. Certains oligosaccharides particuliers sont plus présents dans le lait destiné aux enfants prématurés tandis que d’autres sont au contraire en moindre quantité (comparatif fait en comparant des laits produits au même âge postpartum). A ce stade, les chercheurs ne peuvent qu’apporter des hypothèses pour expliquer ces résultats.
Ils avancent donc, avec les précautions qui s’imposent, que les oligosaccharides présents en plus grande quantité dans le lait d’enfant prématuré sont ceux qui agissent le plus dans l’élaboration du cerveau en apportant de la « matière première ». Ils poursuivent leurs hypothèses en indiquant que dans les derniers mois de la grossesse, lors du développement final des composants du cerveau, le corps de la mère produit les ingrédients nécessaires. Si la naissance a lieu prématurément, ces ingrédients peuvent jouer un rôle clé en entrant dans un processus permettant la synthèse de sucres complexes qui viennent compenser les manques in utero. En un mot, les auteurs concluent en soulignant l’effet particulièrement bénéfique pour le petit prématuré de consommer le lait de sa propre mère ! C’est bien celui qui est le plus adapté !
Ces travaux bien qu’intéressants doivent être pris avec précautions et nécessitent des études complémentaires afin de les confirmer ! On peut néanmoins affirmer que les sucres complexes du lait maternel sont particulièrement spécifiques et adaptés pour le bon développement de l’enfant !
Références
Austin S. et al., “Human Milk Oligosaccharides in the Milk of Mothers Delivering Term versus Preterm Infants”, Nutrients, 2019
Veronica Ayechu-Muruzabal et al., “Diversity of Human Milk Oligosaccharides and Effects on Early Life Immune Development”, Front. Pediatr., 2018