Je continue comme promis la belle histoire de l'allaitement de Louise.
Sandra, je le rappelle, était extrêmement volontaire pour mener à bien son allaitement le plus loin possible. Je vais tenter de vous expliquer pourquoi elle a dû arrêter avant les six mois de Louise. Je dis bien "tenter", car cette situation était très complexe, tant la vie de Louise ne tenait parfois qu'à un fil. Ce billet est un peu long, je vous prie de m’en excuser, mais il fallait tout cela pour bien expliquer…
Maintenir sa lactation …
A cause du stress permanent que représentait la vie à l'hôpital, Sandra avait de moins en moins de lait depuis la première infection de son bébé, survenue 25 jours après la naissance. Surcroît de difficulté, un staphylocoque (bactérie pathogène) avait été détecté dans son lait quatre jours après le début de cette infection, ce qui aurait pu déclencher une nouvelle maladie chez Louise. Sandra devait donc suivre un protocole très strict et très long. Exprimer son lait lui demandait, tenez vous bien, deux heures à chaque fois ! Des conditions très difficiles pour maintenir une bonne lactation, et qui auraient fait craquer bon nombre de mamans.
Comme je l'ai dit dans le précédent billet, les infections s'enchaînaient, et l'angoisse générée à chaque fois faisait chuter la production. Louise avait trois mois et huit jours quand elle contracta sa cinquième et très grave infection. Il y eut un moment où, au pire de la maladie, le médecin lâcha : « Là on ne sait plus quoi faire »… Stress immense. Impuissance. Désespoir, attente. Et pourtant Louise s’en est de nouveau sortie. Incroyable bébé, incroyable volonté de vivre.
Combattre le cercle vicieux des compléments
Par ailleurs, il faut bien comprendre que Louise était gavée en permanence par une sonde amenant directement le lait maternel dans son estomac. Ainsi rassasiée, elle n'éprouvait alors plus tellement l'envie de téter et, en conséquence, la production de lait n'était pas bien stimulée. Il est classique de constater, chez les mamans qui utilisent exclusivement ou presque le tire-lait, cette phase où l’expression des quantités voulues devient difficile.
Ecouter son bébé
A la fin du troisième mois, Sandra était lucide sur ce cercle vicieux. Et surtout, elle sentait que sa fille avait maintenant la force nécessaire pour prendre de vraies tétées et qu’il était temps de lui donner davantage de repas au sein. Mais l'équipe médicale de pédiatrie (elles avaient alors quitté la réanimation) ne partageait pas du tout son avis. Sandra n'était donc pas libre de donner les tétées comme et quand elle le voulait. De plus, lorsqu'elle donnait une tétée, elle devait systématiquement peser son bébé, avant et après la tétée. Le système de tétée-pesée permet de savoir quelle quantité de lait a été ingérée par le bébé. Cette opération est importante bien sûr, mais elle est également pénible pour la maman et le bébé, surtout quand elle est systématique. Dans le cas de Sandra, elle était tout simplement insupportable, à cause de tous les tuyaux et fils reliant Louise aux machines.
Entrer dans le cercle vertueux inverse
Et puis, un jour que Sandra attendait depuis plus d’une heure qu’une infirmière vienne pour cette tétée-pesée (Louise avait alors quatre mois), elle décida de mettre la petite au sein, sans autre forme de procès ! Lorsque l’infirmière arriva, Louise venait de terminer un repas complet au sein (validé par le fait qu’elle n’a ensuite pris que quelques millilitres du biberon proposé juste après) ! Quel bonheur ! Cette étape cruciale franchie, le gavage a été supprimé, à la demande expresse de Sandra.
Aller jusqu’au bout
Même si Louise et sa maman étaient entrées dans un cercle vertueux, c’était tout de même à un stade difficile, car Louise était trop habituée au gavage.
Contrainte supplémentaire à gérer pour Sandra, une tétine était fourrée dans la bouche de Louise dès qu’elle avait le dos tourné, bien qu’elle y soit opposée. Sandra n’a pas pu trouver dans ce service de pédiatrie le même soutien dont elle avait bénéficié quand elle était en réanimation néonatale et soins intensifs néonataux, à seulement quelques mètres de là pourtant, mais avec des personnes différentes, des sensibilités différentes, des formations différentes aussi. Dans cet environnement contradictoire, Louise n’arrivait pas à « oublier » la tétine (objet très mal nommé car elle se suce) et se concentrer sur le vrai, l’authentique : le sein. L’allaitement restait donc relativement laborieux.
Sandra a continué à allaiter Louise du mieux que la situation le permettait, se dévouant 24h/24 pour que son enfant ait l’aliment fait pour elle. Mais devant la prise de poids insuffisante, et les gros efforts que devait faire Louise au niveau respiratoire (°), les médecins ont finalement demandé à Sandra de s’arrêter. C’est la mort dans l’âme qu’elle s'y est résolue. C'était en juillet, Louise venait de fêter ses six mois.
Messages d’espoir
Aujourd’hui, Louise est revenue à la maison, elle va avoir huit mois dimanche et se porte bien. Certes elle a bien repris du poids (aujourd'hui elle pèse 5.830 kg), mais sa maman est sans cesse inquiète de ses réactions au lait artificiel : diarrhées, selles de couleur anormale, boutons… Paradoxalement, elle se dit presque encore plus stressée qu’avant.
J’ai demandé à Sandra quel message elle aimerait donner aux parents qui doivent affronter la prématurité (°°).
Tout d’abord, elle m’a dit d’emblée que si c’était à refaire, elle le referait, mais différemment. Elle oserait s’imposer davantage face à certains professionnels de santé, malgré cette peur qui est là, à chaque instant, de voir la vie de son bébé s’interrompre.
Message 1 : s’imposer à bon escient
Son message, c’est de ne pas lâcher, d’aller jusqu’au bout de ce qu’on veut réaliser. De savoir dire « non » de temps en temps, quand il est évident que les décisions prises ne sont pas les meilleures. Elle se remémore ce moment où, à la énième infection, le Papa a dit un « non » ferme et sans appel à un énième antibiotique, en faisant confiance à la protection apportée par l’allaitement (exclusif à ce moment-là), et où les problèmes se sont résorbés naturellement (°°°).
Elle me parle aussi de cette dame qui avait accouché dans le même service, d’un bébé prématuré également, qui avait demandé un tire-lait, mais trop mollement, ne l’avait récupéré que le quatrième jour, n’avait pas réussi à lancer son allaitement et avait tout abandonné au bout de dix jours.
Les plupart des équipes médicales sont débordées, et manquent de moyens. Les parents sont souvent obligés de prendre les devants (°°°°).
Message 2 : pratiquer cette merveille, le peau à peau
Son deuxième message, c’est de pratiquer le plus possible le peau à peau. D’une part parce qu’il aide à l’épanouissement du bébé, et d’autre part parce qu’il stimule l’allaitement.
Dès que cela été possible, Louise est sortie de sa couveuse et a fait du peau à peau sur son papa ou sa maman (la photo!). La première sortie a eu lieu à quatre semaines, et pour Sandra, les sentiments éprouvés étaient si forts qu’ils en étaient indescriptibles. Pour Louise aussi, probablement ! C’était la première fois depuis la naissance qu’elles étaient en vrai contact ! Louise était habituée à l’odeur maternelle (et à celle du lait !) grâce à un linge porté par Sandra pendant 24 heures sur sa poitrine et déposé dans la couveuse. Au fil des séances de peau à peau, Sandra voyait Louise (grâce à un miroir judicieusement placé), qui régulait de mieux en mieux ses besoins en oxygène, puis, du haut de ses quelques centimètres, se glissait vers le sein, puis enfouissait sa tête, jusqu’au moment magnifique où elle sentit une minuscule bouche léchouiller son mamelon… de quoi se dire qu’elle n’avait pas fait tout ça pour rien et qu’il fallait persévérer.
Message 3 : accompagner son bébé
Enfin, Sandra souhaite insister sur le courage qu’il faut à un bébé né dans cette situation extrême. Car si téter est un plaisir pour un bébé né à terme et en bonne santé, pour Louise, c’était avant tout un effort physique intense, rendu encore plus difficile par les multiples tuyaux qui l’encombraient.
Je me suis demandé pourquoi les équipes n’avaient pas tenté de mettre en place un Dispositif d'Aide à l'Allaitement (DAL). A aucun moment cela n’a été évoqué devant Sandra, qui ne connaissait pas elle-même ce système.
Je ne m’immisce jamais dans l’allaitement d’une mère que je connais personnellement sans avoir eu une sollicitation précise, mais je regrette vraiment de ne pas l’avoir fait à ce moment-là car il me semble que cela aurait été LA solution pour Louise. Dès le troisième mois, c'est-à-dire quand Sandra avait encore beaucoup de lait, l’utilisation de ce dispositif aurait probablement permis de traiter en amont les problèmes qui se sont ensuite aggravés avec le temps. Louise aurait eu des repas au sein plus efficaces et moins fatigants. Le gavage aurait pu être supprimé plus rapidement, et les seins mieux stimulés…
Mais on ne refait pas le passé, et cet allaitement a été plus que réussi : Sandra a donné le meilleur de ce qu’elle avait au moment où Louise en avait le plus besoin.
Louise, je te souhaite une heureuse vie, et avec la force que tu as en toi, je me doute que tu accompliras des merveilles !
(°) les bébés nés prématurément ont fréquemment des besoins en oxygène plus importants, par suite d'une broncho-dysplasie, une affection chronique des poumons
(°°) Vous noterez d’ailleurs que ses conseils sont valables pour une naissance à terme !
(°°°) Au passage, rappelons que les antibiotiques sont très agressifs pour l’intestin, a fortiori lorsqu’il s’agit d’un intestin immature comme l’est celui d’un prématuré. Le lait maternel a d’ailleurs eu à mon avis un rôle central de probiotique pour aider Louise à supporter les multiples antibiothérapies qu’elle a subies.
(°°°°) J’ajouterai que la formation et la volonté de la personne qui vous suit le matin ne sont pas nécessairement les mêmes que celles de l’équipe de l’après-midi. Jeunes mamans, futures mamans, vous devez être capables de connaître ce que vous êtes ou non en droit d’obtenir du personnel de l’hôpital, c’est votre rôle de patiente.
merci pour ces bonnes nouvelles ! bon courage à Louise et ses parents !
Bonjour, en vous lisant je me suis posé une question pourquoi les pédiatres ne nous disent pas que les antibio utiliser pour une infection au staphylocoque sont agressifs pour l'estomac des grands premas et premas? Alors je me posais une question est-ce que les antibio peuvent perforé l'estomac du nourrisson ou est ce toujours du au stress du nourrisson?
Merci pour votre reponse
bonjour Leila.
le problème majeur des antibiotiques est qu’ils tuent tout ce qu’ils trouvent dans le système digestif : les “bonnes” comme les “mauvaises” bactéries. Or nous avons impérativement besoin des bactéries amies pour notre digestion. ce n’est pas pour rien que dans notre intestin il y a 10 fois plus de bactéries que de cellules “à nous” dans notre corps (2kg de bactéries en moyenne chez un adulte!! *). Après le passage de l’antibio, tout ce petit monde est bien chamboulé, et les bactéries pathogènes vont pouvoir s’installer à leur aise. C’est pourquoi après une antibiothérapie les probiotiques sont indispensables. L’installation des bactéries pathogènes peut donner lieu à de nombreuses maladies, dont des ulcérations voire perforations. Le nourrisson, a fortiori s’il est prématuré, a une immunité immature, et est encore plus sensible que l’adulte. Le stress peut jouer également, un organisme stressé de façon répétée étant moins efficace sur bien des plans…
*source : Ecosystème intestinal et santé optimale, Dr G Mouton
Bonsoir,
Merci pour ce magnifique témoignage et ces précisions. Je reviens sur la question des antibiotiques, ma fille en a reçu dès le 2ème jour de sa vie car elle avait contracté une infection au E.Coli. Dès le 4ème jour elle était en proie à de violentes coliques et ce n'est toujours pas terminé (elle a presque 3 mois). L'osthéopathe nous a dit qu'il y avait un lien, qu'en pensez vous?
Par ailleurs, ce serait une aide pour beaucoup de mamans allaitantes si vous pouviez nous donner un article sur l'allaitement et les coliques. Bien souvent on entend incriminer l'allaitement.
Par ailleurs pour moi ça a été (et reste) dur de déterminer s'il faut nourrir ou pas mon bébé (qui pleure beaucoup). D'autant que le sein a un effet apaisant… je suis un peu perdue face à tout ça.
Merci pour ce blog très enrichissant.
Elise
bonjour,
oui, les antibiotiques peuvent donner des maux de ventre. Je prépare en effet un article sur les coliques des bébés allaité. Cela me prend du temps, car c’est un sujet complexe et multiforme. Quand donner le sein, ni trop, ni trop peu, reste une préoccupation pour beaucoup de mamans. IL faut trouver un juste compromis, car donner trop souvent occasionne des problèmes digestifs (une bonne façon de le constater est de regarder la couleur des selles : si elles sont vertes, cela peut etre un indicateur). L’écharpe de portage aide énorménent à calmer un bébé qui a tété il y a peu, a eu a priori un repas complet, mais continue de pleurer. Le fait d’etre contre vous, et d’avoir un massage du ventre peut l’appaiser (n’écoutez pas ceux qui vous disent que trop porter votre bébé va le rendre capricieux. un bébé de 3 mois est fait pour etre porté!). Bon courage! Et dites vous qu’avec du lait artificiel, les douleurs seraient probablement pires…
Je vous remercie beaucoup de votre réponse et de vos conseils. Ma fille aura mois demain et il semble que ça aille mieux: pas de grosse crise terrible depuis vendredi… nous croisons les doigts! Effectivement nous l'avons beaucoup portée et nous continuerons malgré les remarques stupides sur les "caprices" des nourrissons… de toutes façons au début c'était la seule façon de dormir!
Bien à vous, et merci
Superbe histoire…
Merci de l'avoir partagé…
Félicitations pour votre article. C'est merveilleusement conté ! Longue vie en bonne santé à Louise et plein de bonheur à Sandra et les siens.
Merci! C’est surtout Sandra qu’il faut féliciter : elle a pris des notes très précises tout au long de son séjour à l’hôpital, même dans les moments les plus durs, ce qui fait qu’elle a pu me fournir un matériau complet et rigoureux!
J'ai adoré lire la suite de l'histoire de la petite Louise ! sacré combat, sacré courage, sacré instint maternel (mise au sein sans attendre la tétée-pésée demandée etc etc !!)
viteeee une nouvelle histoire 😉
Très , très belle histoire ! Félicitations à chacune(s) et chacun .
Quelle superbe histoire! Bravo Sandra, bravo Louise !
Une de mes filles a été hospitalisée à 2 jours (omphalocèle), mise à jeun pendant 3 jours. J'ai dû tirer mon lait dès ma montée de lait. Ce n'était pas facile, et le personnel n'était pas toujours compétent dans ce domaine… Ma fille a été remise au sein 4 jours après son opération, grace à ma persévérence (je la mettais souvent contre moi) et après avis du pédiatre (elle a eu aussi quelques biberons de mon lait).Quel bonheur ! Je l'ai ensuite allaitée exclusivement jusqu'à ses 5 mois puis en mixte jusqu'à ses 7 mois. Comme quoi, tout est possible, mais il faut une volonté et une persévérence de fer!!
Merci pour votre blog très intéressant. J'attends votre article sur les coliques du bébé allaité (mon autre fille en a bcp souffert jusqu'à 3 mois).
En lisant cette histoire je reviens 2 ans 1/2 en arrière à la naissance de mon fils à 27 semaines d’aménorrhée. J’ai vécu beaucoup de choses similaires, le tire-lait pendant 2 mois 1/2 avant enfin que mon bébé ne commence à pouvoir téter, les pesées-tétées, une grosses infection avec érésypèle… Et pendant le premier mois je n’ai eu aucun conseil, on m’a donné une ordonnance 2 jours après l’accouchement en me disant de me faire louer un tire-lait en pharmacie puis… plus personne ne m’a reparlé de l’allaitement, sauf pour me dire qu’un prématuré de ce terme ne pouvait pas vivre sans “lait de mère”… J’ai donc loué un vieil appareil avec des téterelles de la mauvaise taille qui m’a fait pleurer à chaque tirage jusqu’à ce que mon fils puisse être transféré dans un autre hopital où j’ai eu le bonheur de rencontrer une conseillère en allaitement et découvrir un autre tire-lait beaucoup plus doux, à double pompage, avec une taille de téterelles adaptée, que j’ai pu louer sans dépassement chez Grandir Nature, ça a changé ma vie! Je ne connaissais rien à l’allaitement et passais mes jours et mes nuits auprès de mon fils qui se battait pour sa vie à l’hôpital, si je n’avais pas été aidée et conseillée au bout d’un mois j’aurais dû arrêter l’allaitement tellement tirer mon lait le faisait mal, donc mille mercis aux conseillères en allaitement, il en faudrait dans tous les services de réanimation néonatale! L’histoire se finit bien, j’ai allaité mon fils 18 mois et il va très bien aujourd’hui.