Claire, maman de Pia et de Lou.
Autour des deux ans de ma fille aînée, il y a eu un moment crucial où j’ai pris la décision de la sevrer de nuit. J’avais dépassé mon seuil de disponibilité nocturne. Depuis plusieurs semaines les réveils s’étaient de nouveau multipliés, si bien que j’allaitais ma fille la nuit à la même cadence que celle d’un nouveau-né. J’ai eu l’impression d’être ce hamster qui tourne indéfiniment dans sa roue, et j’ai réalisé que je n’y trouvais plus de joie. Du tout.
Pourquoi est-ce que je m’infligeais ça ? Pourquoi persévérais-je à partager mon corps épuisé alors que je souhaitais de tout mon cœur retrouver un peu d’intimité ?
Jour après jour, mois après mois, l’allaitement long avait nourri à la fois mon bébé et mon estime de moi. Je me sentais compétente, généreuse, nourricière et j’aimais vraiment cette relation de corps à corps avec mon enfant. Jusqu’à ce que j’ose regarder en face mon découragement. Comme un zombie, je soulevais automatiquement mon tee-shirt plusieurs fois par nuit pour donner le sein. J’étais devenue une machine. Subitement j’ai recontacté mes propres désirs, mes limites, et j’ai réalisé que je m’engluais dans une aventure qui ne me convenait plus. J’étais à la fois frustrée et triste de ce constat. J’ai aussi eu très peur de l’accoutumance. Peur de voler à ma fille sa belle autonomie. Peur de la rendre dépendante de sa maman-toute-puissante-au-sein-illimité.
Une fois cette résolution de sevrage partiel adoptée, je me suis sentie libérée et plus forte.
J’avais trouvé un moyen extérieur simple pour soutenir cette révolution : « quand la lumière est éteinte, on dort, quand il fait jour, tu peux téter ». Mais les habitudes ont la vie dure… la nuit où mon voisin a allumé sa lumière à 3 heures du matin, j’ai entendu, mi-amusée mi-dépitée, un victorieux « il fait jour, on peut téter ! ».
Les interruptions nocturnes n’ont pas diminué magiquement, au contraire : pendant une période j’ai encore moins dormi que lorsque j’allaitais. Je proposais à présent à chaque réveil de ma fille, au choix et à volonté, de l’eau, une caresse, une chanson, un câlin, ou simplement l’écoute de sa frustration gigantesque. Petit à petit, et à mon grand soulagement, ma fille a trouvé ses ressources pour se rendormir sans le sein, et moi les miennes, pour sortir de la culpabilité de sevrer mon enfant. J’ai même éprouvé une certaine fierté de m’être offert ce grand oui, celui de m’apporter un peu de répit. Et j’ai savouré la légèreté de mon corps aux contours retrouvés.
J’ai continué d’allaiter ma fille aînée la journée, pendant près d’un an, au rythme qui nous convenait, jusqu’au jour où au petit déjeuner, de but en blanc, elle m’a suggéré joyeusement « dis maman, si on arrêtait le sein ? ». Elle avait eu sa dose lactée, et elle était capable de s’en passer désormais. Elle prenait son envol, de son plein gré. Je l’avais sevrée de nuit, elle s’était sevrée de jour. De mon côté, j’avais eu ma dose aussi, depuis un bon moment d’ailleurs. De nouveau enceinte de quelques mois, mes seins sensibles rendaient chaque tétée inconfortable, voire douloureuse. Et pourtant je tenais à donner à ma fille la responsabilité de la fin de son allaitement. Sans doute un peu à mes dépens.
J’ai amorcé le sevrage de nuit de ma seconde fille il y a quelques mois, déterminée et flexible. Lors d’un de ses gros rhumes, j’ai préféré assouplir ma décision, dans un souci d’efficacité pour moi et de bien-être pour elle.
Est-ce que je patienterai jusqu’au sevrage naturel de jour, comme je l’ai fait pour mon aînée ? Je ne sais pas. En tous cas, je reste attentive à ses besoins et aux miens, et je fais le vœu que nous parviendrons à inventer, ensemble, le sevrage sur-mesure qui sera doux pour nous deux.