Voici un nouvel article de notre scientifique Pascale Baugé, qui nous aide à décrypter toutes ces nouvelles études sur le lait maternel et ses pouvoirs…
Le lait maternel est une substance riche, très riche, un fluide complexe comprenant une multitude de composants dont on est encore loin d’avoir fait le tour, tant dans la nature de ses constituants que dans les rôles que ces derniers peuvent jouer chez le bébé voire chez l’adulte qu’il deviendra.
Le lait maternel n’est pas seulement une ressource de nutriments, il contient aussi des composés bioactifs précieux. Ainsi, une des particularités du lait maternel dont on parle peut-être moins est son contenu en cellules, celles-ci jouant un rôle majeur :
– les cellules typiques de la glande mammaire (des lactocytes et des cellules myoépithéliales)
– les cellules de type « globules blancs » dont le rôle dans le développement de l’immunité chez l’enfant a été démontré.
Mais plus incroyable, grâce aux nouvelles méthodes d’identification, on s’est rendu compte que le lait maternel était également riche en cellules très jeunes, immatures, qu’on dit « indifférenciées » et qui portent le nom de « cellules souches ». Elles sont comme des cellules mères pouvant se renouveler et évoluer en prenant un caractère bien précis, celui de cellules fonctionnelles.
Que sont les cellules souches et où les trouve-t-on ?
Dès les premiers jours après la fécondation, on trouve des cellules souches, celles au plus haut potentiel. On les dit « totipotentes » car elles sont capables d’évoluer en toutes cellules possibles d’un organisme y compris celles qui forment le placenta.
Chez l’embryon âgé de quelques jours, les cellules souches présentes sont dites pluripotentes, avec un potentiel d’évolution encore bien diversifié vers tous types de cellules (sauf des cellules placentaires).
Chez l’adulte, les cellules souches se font plus rares. De plus, celles-ci sont multipotentes c’est-à-dire qu’elles se transforment en un nombre plus réduit de types de cellules et elles ne sont présentes que dans des niches au sein des organes : elles permettent le renouvellement des cellules qui vieillissent vite ou qui sont lésées.
Enfin les cellules souches unipotentes ne donnent naissance qu’à des cellules bien spécifiques comme celles de la peau.
Quelles cellules souches dans le lait maternel ?
Dans la mesure où la glande mammaire possède cette incroyable faculté d’adaptation et de modification durant la grossesse et la période du post-partum, c’est qu’elle a recours à une machinerie sophistiquée permettant de passer rapidement de l’état de repos à l’état d’organe qui secrète du lait ! Cela nécessite bien sûr une modification des cellules qui y siègent, une phase de maturation vers un état de cellules actives. Pas de secret, il y a bien des cellules souches là-dessous. Ainsi, pendant longtemps leur présence dans le lait maternel a été suspectée par les scientifiques.
C’est en 2007 que pour la première fois, une équipe de chercheurs australiens a mis en évidence des cellules souches dans le lait maternel.
Quelles sont leurs propriétés ?
Les cellules souches présentes dans le lait maternel sont capables de se différencier et d’exprimer des caractéristiques de lactocytes ou cellules myoépithéaliales, ces cellules spécifiques présentes dans un sein pour fabriquer et expulser le lait.
Ce sont les cellules souches qui permettent effectivement à la glande mammaire d’évoluer.
Mais ce que les recherches ont révélé a de quoi surprendre : des cellules souches identifiées dans le lait maternel sont capables d’évoluer et de maturer vers des cellules différentes, comme par exemple des cellules neuronales !
En effet, in vitro, la culture de ces cellules souches, dans un milieu qui convient, a conduit à la formation :
– de cellules neuronales avec leur marqueur caractéristique,
– d’oligodendrocytes (des cellules du système nerveux),
– d’astrocytes (d’autres cellules du système nerveux).
D’autres essais in vitro ont montré aussi que ces cellules souches du lait humain, donnaient des cellules adipeuses, des cellules pancréatiques, hépatiques ou des cellules cardiaques ! Bref, une belle panoplie de cellules différenciées.
Il existe ainsi pas mal de travaux (depuis 2012) qui indiquent de façon claire l’existence de cellules souches pluripotentes, c’est-à-dire de cellules souches capables de devenir n’importe quel type de cellules de l’organisme adulte.
A quoi servent-elles ?
Alors, le premier challenge est de savoir si ces cellules peuvent survivre dans les conditions difficiles du tractus digestif et passer le cap de la digestion. Il s’avère que oui, chez le nouveau-né le milieu n’est pas si insurmontable et la diffusion via la paroi intestinale est possible. Elles se retrouvent donc dans la circulation sanguine et peuvent migrer vers différents organes. Quel peut bien être le rôle de ces cellules souches capables de se différencier en cellules nerveuses ? ou cellules graisseuses ? Participent-elles à la maturation de certains tissus ou organes chez l’enfant ?
Des études sur la souris prouvent que ces cellules souches issues du lait maternel s’intègrent bien dans les tissus des petits. Les chercheurs pensent qu’elles pourraient être impliquées dans le développement du système nerveux entérique : le réseau nerveux du tube digestif où des neurones gouvernent le fonctionnement du système gastro-intestinal ! D’autres chercheurs avancent aussi qu’elles pourraient favoriser la prolifération, le développement ou la régulation de gènes de certains tissus chez l’enfant. C’est cohérent avec le fait que le lait maternel de mamans de prématurés est enrichi en ce type de cellules souches. Mais tout cela demande encore études, conclusions et confirmations.
Qu’en retirer ?
Nous pouvons donc conclure de l’ensemble de ces recherches que ,plus que jamais , le lait maternel prouve sa grande spécificité : il est inimitable tant pour les nutriments qu’il fournit, que les ressources biologiques qu’il contient.
Les cellules souches dans le lait maternel, ce n’est que le début des connaissances !
Présentes dans le lait maternel, elles jouent un rôle certain dans le développement de l’enfant. Mais encore beaucoup de questions demeurent irrésolues. Par quels processus se différencient-elles au sein de l’organisme ? Quelles conditions chez la mère et l’enfant modifient la teneur et la qualité des cellules souches présentes dans le lait ? A suivre donc.
Références:
Mehmet Şerif Aydın et al., « Transfer and Integration of Breast Milk Stem Cells to the Brain of Suckling Pups », Scientific Reports, 8:14289, 2018
Witkowska-Zimny M., et al. « Cells of human breast milk », Cellular Molecular Biology Letters, 22:11, 2017
Reali A. et al., « Multipotent stem cells of mother’s milk », Journal of Pediatric and Neonatal Individualized Medicin, 5(1), 2016
Ninkina N. et al., “Stem cells in human breast milk”, Human Cell, 32, 2019
Briere, C-E et al., “Breast Milk Stem Cells: Current Science and Implications for Preterm Infants”, Clinical Issues in Neonatal Care. 223., 2016