Article écrit par Pascale Baugé, scientifique .
Le lait maternel est l’un des aliments les plus étudiés : on ne cesse de découvrir ses bienfaits sur la santé et la nutrition du nourrisson ainsi que sa parfaite adéquation avec les besoins de l’enfant grandissant grâce à un apport optimal de nutriments. Ses avantages sur le long terme sont également de mieux en mieux révélés et la médecine s’intéresse de près à ses nombreux composants actifs tels que HAMLET (acronyme de Human Alpha-lactalbumine Made lethal to Tumor cell), une protéine complexe qui déclenche la mort des cellules tumorales.
Ce qui est moins documenté, ce sont les usages non nutritifs du lait humain qui se sont parfois ancrés dans les habitudes populaires comme utiliser le lait localement pour traiter la conjonctivite, les rhinites ou les infections de la peau.
Certains chercheurs se sont penchés sur la question : a-t-on des bases scientifiques sur lesquelles s’appuyer pour confirmer l’efficacité de tels usages ?
Le lait humain étant facilement disponible, de faible coût et sans effet indésirable, il est effectivement important de connaître réellement les effets car ce serait une solution idéale pour les pays où l’accès aux soins est difficile !
Une équipe de chercheurs de l’Université de Varsovie s’est alors mis en quête des études publiées sur la question pour en tirer un bilan : sur plus d’un millier d’études parues entre 2010 et 2019, seules 15 d’entre elles, publiées dans des journaux à comité de lecture ont été jugées de qualité suffisante et ont pu être intégrées dans cette méta-analyse publiée en 2019 [1].
Quelles sont ces usages non nutritifs ?
Le lait maternel est fréquemment utilisé pour traiter des problèmes de peau du bébé (eczéma, dermatite, érythème), des crevasses aux mamelons, des problèmes de conjonctivite ou encore pour les soins du cordon.
Il est vrai que le lait maternel contient un grand nombre de composés bioactifs et stimulants pour l’immunité. Il est en effet riche en diverses bactéries, micro-ARN, facteurs de croissance et autres molécules complexes possédant un potentiel anti-inflammatoire ou réparateurs des lésions mineures de la peau.
Que disent les études ?
Par rapport aux problèmes cutanés des bébés,
l’évaluation de l’utilisation de lait maternel sur les zones touchées (eczéma ou érythème) présente des résultats hétérogènes. Sur les 5 études d’essais cliniques randomisés pris en compte dans cette méta-analyse, l’une d’elle correspondant à une petite taille d’échantillons (6 enfants) ne montre pas d’effet du tout. 3 autres études de plus grande envergure (respectivement 100, 141 et 63 enfants dans les groupes d’observation) affichent les mêmes niveaux d’efficacité que ceux obtenus par un traitement classique (généralement à l’hydrocortisone). Une seule publication rend compte d’un net avantage du lait maternel et repose sur un échantillon de 30 bébés (âgés de 0 à 12 mois) divisés en 2 groupes traités pour des problèmes d’érythème. 80 % des enfants recevant 3 fois par jour avec du lait maternel montraient des signes positifs après 5 jours d’application contre 26% dans le groupe non traité.
Du côté des mamans,
l’application de quelques gouttes de lait pour endiguer les douleurs aux mamelons les premiers jours d’allaitement est une technique assez répandue. L’étude prise en compte dans la méta-analyse fait le suivi de 84 mères allaitantes qui ont développé des douleurs dans les 72h après leur accouchement. En comparant le résultat de cette application avec celle de lanoline, il s’avère que c’est le lait maternel qui était le plus efficace, avec un temps de cicatrisation plus court. Sur une cicatrice périnéale, le lait maternel réduit également le temps de cicatrisation.
En ce qui concerne les problèmes oculaires,
l’efficacité des soins préventifs apportés à plus de 250 nouveaux nés a été estimée dans une étude comparant 3 groupes : un premier groupe recevant 2 gouttes de colostrum dans chaque œil, un second groupe traité à l’aide d’un antibiotique classique et un groupe de contrôle ne recevant aucun traitement. La survenue de conjonctivite a alors été analysée dans chacun des 3 groupes. L’effet positif du lait maternel sur la prévention de la conjonctivite a pu être mis en évidence de façon claire. Une autre étude chez la souris a de plus montré que le lait maternel était capable de soigner les blessures de l’épithélium cornéen. Une guérison plus rapide et plus efficace comparativement au sérum ou aux larmes artificielles.
Utiliser du lait maternel pour assurer les soins du cordon
C’ est une pratique assez répandue dans certains pays et l’OMS bien que plébiscitant les soins à sec, encourage les recherches dans cette voie. La méta-analyse de 2019 a fait le point sur la question : 3 études de contrôle publiées entre 2010 et 2018 ont montré que l’application de quelques gouttes de lait maternel sur le cordon de nouveau-nés permettait une chute plus rapide du cordon (entre 1 à 3 jours plus tôt) par rapport aux soins à sec ou avec un produit antiseptique.
Une autre méta-analyse plus récente [2] confirme d’ailleurs ces résultats et précise que le colostrum est plus efficace que le lait mature. Un cordon qui se détache plus vite permet de diminuer les risques d’infection.
Qu’en retirer ?
De cette analyse, les auteurs concluent que le lait humain, grâce à ses multiples composants, est susceptible d’offrir des solutions efficaces, bon marché, sécures et sans risques d’allergie pour prévenir voire traiter des problèmes d’épiderme sans gravité. La tendance est là mais des évaluations complémentaires de qualité restent nécessaires pour lever l’hétérogénéité des résultats attribuée à la composition du lait humain variable dans le temps, et d’une femme à l’autre.
En ce qui concerne les problèmes d’yeux inflammatoires, les auteurs soulignent que le lait humain ne doit pas être utilisé dans tous les cas de figures : il doit plutôt être vu comme un complément et non comme seul traitement.
Sur la base de ces résultats encourageants, les auteurs confirment que le lait humain est une solution déterminante dans les zones du monde où les femmes n’ont pas la possibilité ou les moyens d’avoir accès aux soins médicaux.
Enfin, les auteurs voient dans le lait maternel de nouvelles perspectives pour la prévention et les traitements des lésions de la peau. Un gros travail reste à accomplir afin de comprendre les composants et molécules impliquées dans les effets produits.
Les auteurs concluent en disant que le lait maternel possède des propriétés extraordinaires et peut être considéré comme une sorte de médecine personnalisée ! A ce titre, les mères doivent être encouragées et soutenues dans leur projet d’allaitement.
Références:
- Witkowska-Zimmy M. et al., « Milk Therapy: Unexpected uses of Human Breast Milk », Nutrients, 11:944, 2019
- Leila Amiri-Farahani et al., «The Anti-Inflammatory Properties of the Topical Application of Human Milk in Dermal and Optical Diseases », Complementary and Alternative Therapies for Inflammatory Diseases 2020,